A l’occasion de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, le collectif AfroFem a choisi de mettre à l’honneur des portraits de femmes noires.
J’ai pour ma part choisi de rendre hommage à l’artiste guadeloupéenne Moune de Rivel, décédée en mars 2014 au bel âge de 96 ans.
Surnommée La Grande Dame de la Chanson Créole, Moune de Rivel est née à Bordeaux le 7 janvier 1918 de parents guadeloupéens.
Son père, Henri Jean-Louis Baghio’o, était magistrat (premier magistrat noir des Antilles françaises) et un fervent militant panafricain, anticolonialiste et indépendantiste tandis que sa mère, Fernande De Virel, était professeure de musique et récipiendaire d’un premier prix de violon ainsi que d’un second prix de piano.
C’est ainsi que Cécile Jean-Louis Baghio’o, son véritable nom, a pu bénéficier d’une culture musicale acquise auprès de sa mère et renforcée par le cercle d’ami-e-s de la famille qui recevait régulièrement des artistes créoles.
Les inspirations féminines de Moune de Rivel
L’artiste a été élevée par une mère musicienne ce qui a indéniablement joué dans son choix de carrière. Il s’agit d’ailleurs d’une tradition familiale car la grand-mère de Moune, Marie de Virel, était également chanteuse tandis que son arrière grand-père, Achille-Balthazar de Virel, était musicien.
Le choix du nom de scène de Moune de Rivel (au lieu de Virel à la suite de la plainte de la famille Dufresne de Virel) avait ainsi pour objectif de rendre hommage à sa famille maternelle.
Au delà du cercle familial, l’entourage de la petite Moune était composé de nombreux artistes dont la martiniquaise Marie-Magdeleine Carbet.
Cette dernière a également joué un rôle très important dans la vocation de représentante des cultures créoles de Moune de Rivel qui lui vouait une grande admiration.
Marie-Magdeleine Carbet était une artiste dont l’œuvre est peu connue du grand public. Née en 1902, sa carrière de professeure puis de chargée de mission culturelle pour les territoires d’outre mer a été interrompue par la suspension prononcée par le régime de Vichy.
Parallèlement à ces métiers, elle a développé une carrière artistique en tant qu’écrivaine, poétesse, peintre et sculptrice tout en étant une militante anti-raciste aguerrie.
Une artiste aux talents multiples
Si Moune de Rivel était principalement connue pour son métier de chanteuse et de musicienne (elle jouait du piano et de la guitare, imitait les bruits de la nature et des oiseaux), elle a également brillé dans d’autres arts puisqu’elle était également actrice et peintre.
En tant qu’actrice, elle a joué dans de nombreux films à reconnaissance nationale tels que « Aux yeux du souvenir » (plus grande audience française de l’année 1948), « l’Écume des jours » (1968, inspiré du roman de Boris Vian) ou la série télévisée « Paul et Virginie » (1974).
Non contente d’être une artiste accomplie, elle a également créé en 1955 le conservatoire Moune de Rivel « Mizik an nou » afin de transmettre les patrimoines musicaux et culturels créoles et a produit des émissions télévisées culturelles pour l’ORTF (la télévision et radio française de cette époque).
La reconnaissance internationale
Si la réussite de carrière française est évidente au vu des précédents paragraphes de cet hommage, son œuvre a également rayonné au niveau international.
Elle a tout d’abord présenté son tour de chant dans un café new-yorkais avant d’apparaitre dans le documentaire « Night Club Boom » dépeignant le travail dans les cabarets de l’après guerre.
(vous pourrez la voir à partir de la 17ème minute).Elle a ensuite parcouru quasiment tous les continents pour déployer son art.
La télévision finlandaise lui avait d’ailleurs consacré un programme nommé « Ne joue pas avec la tristesse ».
Il m’est impossible de ne pas finir cet article avec l’affirmation militante de la vie de Moune de Rivel.
En 1956 s’est tenu à Paris et l’initiative d’Alioune Diop le premier Congrès des écrivains et artistes noir. Parmi les présents, nous retrouverons des noms familiers tels qu’Aimé Césaire, Edouard Glissant, Amadou Hampâté Bâ ou Senghor.
La participation des écrivaines et artistes noires était malheureusement très réduite mais l’on peut relever la présence notable des martiniquaises Jenny Alpha, Paulette Nardal, Jeanne Nardal, de la franco-américaine Joséphine Baker et de… la guadeloupéenne Moune de Rivel.
La notoriété de Moune de Rivel la portait également jusqu’en Afrique au point que la Haute Volta (désormais Burkina Faso) fasse appel à elle en 1960 pour participer à la création du nouvel hymne national suite à l’indépendance du pays. Elle a par la suite été faite « Chevalière de l’ordre national de la Haute-Volta ».
Citation de Moune de Rivel
En principe, j’ai presque toujours chanté les chansons de ma mère.
Que ce soit aux Antilles, en Finlande, en Afrique, en Amérique. A New York, cela surprenait d’entendre une femme noire, après l’occupation Allemande, chanter des chansons créoles.
J’ai toujours refusé de chanter du jazz. Même si j’adore cela, j’ai voulu garder mon étiquette de chanteuse de vieilles chansons créoles et mon authenticité.
Je ne chante pas de chansons modernes afin de préserver notre patrimoine. A mon retour, d’Amérique, je me suis rendue à la Martinique et je n’ai pas voulu non plus changer de répertoire.
Moune de Rivel, propos recueillis par Renée Mendy-Ongoundou pour le magazine Amina
Le très beau documentaire « La lune lévé » a rendu hommage à Moune de Rivel en 2012
Réalisateur : Barcha Bauer avec le regarde l’artiste Lisette Malidor
sources d’informations
Moune de Rivel (Guadeloupe), Acaga
Cécile Jean-Louis Baghio’o dite Moune de Rivel, Alrmab
Moune de Rivel, l’intégrale 1949 – 1962 « La Grande Dame de la Chanson Créole », Frémaux
L’audace ultramarine en hexagone : Comment s’exprime-t-elle ? Comment s’incarne-t-elle ?, le Sénat Français